Jérusalem: dans l´intimité du Cénacle

La veille de la fête de la Pâque, Jésus, sachant que l´heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu´au bout (Jn 13, 1). Ces paroles solennelles de saint Jean qui nous sont si familières, nous introduisent dans l´intimité du Cénacle.

Traces de notre foi

Jérusalem en 70 et la Vieille Ville actuelle. Graphique: J. Gil.

La veille de la fête de la Pâque, Jésus, sachant que l´heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu´au bout (Jn 13, 1). Ces paroles solennelles de saint Jean qui nous sont si familières, nous introduisent dans l´intimité du Cénacle.

" Où voulez-vous que nous allions faire les préparatifs pour que vous mangiez la pâque? " (Mc 14, 12), lui avaient demandé ses disciples. " Allez à la ville; vous rencontrerez un homme portant une cruche d'eau : suivez-le, et là où il entrera, dites au maître de maison : Le Maître te fait dire : Où est la salle, où je pourrai manger la pâque avec mes disciples? Et il vous montrera une chambre du haut, vaste, meublée et toute prête: faites-y les préparatifs”. (Mc 14, 1-15)

Nous savons ce qui s´est passé lors de cette Dernière Cène du Seigneur avec ses disciples: l´institution de l´Eucharistie et du sacerdoce de la Nouvelle Alliance conféré aux Apôtres; la question qu´ils se posaient concernant leur priorité; l´annonce de la trahison de Judas, de l´abandon des disciples et du reniement de Pierre; l´enseignement du commandement nouveau et le lavement des pieds; le discours d´adieu et la prière sacerdotale de Jésus.

Extrait de la Dernière Cène du film “La Passion” de Mel Gibson

Le Cénacle devint ainsi un lieu vénérable non seulement par ce qui s´y passa cette nuit là mais parce que ce fut là aussi que le Seigneur ressuscité apparut aux Apôtres à deux reprises, alors qu´ils s´y étaient réfugiés, toutes portes closes, par crainte des juifs (cf. Jn 20, 19-29). La seconde fois, Thomas corrigea son incrédulité avec un acte de foi en la divinité de Jésus : Mon Seigneur et mon Dieu! (Jn 20, 28).

Les Actes des Apôtres nous ont par ailleurs transmis qu´à ses origines, l´Église se réunissait au Cénacle, où habitaient Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques, fils d´Alphée et Simon le Zélote ainsi que Judas, fils de Jacques. Ils persévéraient tous ensemble dans la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus et ses frères (Ac 1, 13-14. Ce fut dans cette salle-là qu´ils reçurent le Saint-Esprit qui les poussa à aller par le monde entier pour prêcher la bonne nouvelle:Les évangélistes n´indiquent rien qui permette de localiser ce lieu, cependant la tradition le situe à l´extrémité sud-ouest de Jérusalem, sur une colline qu´on n´a dénommée Sion qu´à l´époque chrétienne.

À l´origine, ce nom avait été appliqué à la forteresse jébuséenne que conquit le roi David, puis à la colline du Temple où l´on gardait l´Arche de l´Alliance et par la suite les psaumes et les livres prophétiques de la Bible donnent ce nom à toute la ville et ses habitants. Après l´exil de Babylone, ce nom a un sens eschatologique et messianique qui évoque l´origine de notre salut. C´est en reprenant ce sens spirituel qu´après la destruction du Temple en 70, la première communauté chrétienne donne ce nom à la colline du Cénacle, étroitement liée à la naissance de l´Église.

Vue panoramique de Jérusalem du côté est du Cédron, près du mont des Oliviers. À gauche on perçoit la coupole et la tour de la basilique de la Dormition: Signé: Leobard Hinfelaar.

Saint Épiphane de Salamine, moine en Palestine et évêque de Chypre à la fin du IVe siècle, est un témoin de cette tradition. D´après lui, l´empereur Adrien, lors de son séjour en Orient en 38 “découvrit une Jérusalem entièrement dévastée, le temple de Dieu détruit et profané, hormis un petit nombre d´édifices et une petite église des Chrétiens, sur le lieu du cénacle, là où les disciples se sont rendus après leur retour du mont des Oliviers, après l´Ascension du Seigneur aux cieux. Elle est construite sur la zone de Sion qui demeura debout après la destruction de la ville, avec quelques édifices proches de Sion et sept synagogues sur la colline, comme des cabanes; il semblerait que seule l´une d´entre elles demeurait encore aux temps de l´évêque Maximin et l´empereur Constantin” (Saint Épiphane de Salamine, De mensuris et ponderibus, 14).

Ce témoignage coïncide avec d´autres du IVe s. Celui d´Eusèbe de Césarée qui recense 29 évêques ayant siégé à Sion depuis l´ère apostolique et jusqu´à son temps; celui du pèlerin anonyme de Bordeaux qui a connu la dernière des sept synagogues; celui de saint Cyrille de Jérusalem qui parle de l´église supérieure où était évoquée la venue du Saint Esprit et celui de la pèlerine Égérie qui décrit une liturgie célébrée en ce lieu en mémoire des apparitions du Seigneur ressuscité.

En quittant la ville par la porte de Sion, une rue mène au Cénacle, à gauche, et à la basilique de la Dormition, à droite. Signé.: Leobard Hinfelaar.

D´après des sources historiques, liturgiques et archéologiques diverses, nous savons que durant la seconde moitié du IVe s. la petite église fut remplacée par une grande basilique, dite Sainte Sion et considérée comme la mère de toutes les églises. Avec le Cénacle, il y avait le lieu de la Dormition de la Sainte Vierge que la tradition situait dans un logement contigu; on y trouvait aussi la colonne de la flagellation et les reliques de saint Étienne. Le 26 décembre on y commémorait le roi David et Jacques, premier évêque de Jérusalem.

On connaît peu de choses concernant la structure de ce temple, incendié par les Perses au VIIe s. , restauré ensuite et endommagé encore une fois par les Arabes.

Les Croisés

À l´arrivée des Croisés en Terre Sainte, au XIIe s., la basilique fut reconstruite et appelée Sainte Marie du Mont Sion. Le Cénacle se trouvait dans la nef sud de l´église qui avait toujours deux étages, avec deux chapelles chacun: à l´étage supérieur, il y avait celles de l´institution de l´Eucharistie et de la venue du Saint-Esprit et á l´étage au-dessous celles du lavement des pieds et des apparitions de Jésus ressuscité. C´est à ce niveau-là que l´on dressa un cénotaphe – monument funéraire exempt de la dépouille du personnage vénéré – en l´honneur de David.

Lorsque Saladin reconquit la Cité Sainte en 1187, la basilique ne fut pas endommagée et l´on autorisa les pèlerinages et le culte. Cette situation ne dura pas longtemps car en 1244 l´église fut détruite à tout jamais. Seul le Cénacle, dont les vestiges nous sont parvenus, fut épargné.

La salle gothique actuelle est du XIVe s. et ce sont les franciscains, propriétaires légitimes depuis 1342 qui l´ont restaurée.

Au niveau inférieur, on conserve une partie du cloître du couvent franciscain du XIVe s. Sur cette photo on voit, au premier étage, les trois fenêtres du Cénacle. Signé: Alfred Driessen.

Les moines avaient pris en charge le sanctuaire en 1335 pour y construire leur couvent, côté sud. Ce fut en 1342 que par une bulle du pape, la Custodie de Terre Sainte fut créée. Les rois de Naples qui avaient acheté cette propriété au Sultan d'Égypte, la cédèrent alors aux franciscains qui en firent leur demeure durant plus de deux siècles, soumis à toute sorte de difficultés. L'autorité turque les chassa en 1551. Le Cénacle leur avait été usurpé bien avant pour devenir une mosquée, sous prétexte que le roi David, que les musulmans considèrent un prophète, pouvait y être enseveli.

Ce fut son affectation jusqu´en 1948, où l'État d'Israël s'en empara pour l'administrer encore aujourd´hui.

On accède au Cénacle en passant par un édifice contigu, en gravissant un escalier intérieur, en traversant une terrasse à ciel ouvert. Il s´agit d´une salle d´à peu près 15m de long et 10m de large, sans pratiquement aucune décoration, aucun mobilier. Plusieurs piliers aux murs et deux colonnes au centre, avec des chapiteaux anciens réutilisés qui supportent un plafond voûté. Sur les clefs de voûte il y a des traces de reliefs anciens aux figures d´animaux, d´un agneau, notamment.

Quelques rajouts sont évidents, tels la construction sur le mur central en 1920 pour la prière islamique qui cache l´une des trois fenêtres, ou bien un baldaquin d´époque turque sur l´escalier qui conduit au niveau inférieur et qui s´appuie sur une colonne dont le chapiteau est chrétien puisqu´il est orné d´un pélican nourrissant ses petits, motif eucharistique s´il en est. Le mur à gauche a des pans d´époque byzantine. Par un escalier et une porte, on arrive à la petite salle où l´on évoque la venue du Saint-Esprit. À l´opposé de cette entrée, on arrive sur une autre terrasse qui communique avec celle du toit d´où l´on voit le cloître du couvent franciscain du XIVe s.

Actuellement il n´y a pas de culte au Cénacle. Seul le bienheureux Jean-Paul II eut le privilège de célébrer la Sainte Messe en cette salle, le 23 mars 2000. En mai 2009, Benoît XVI y récita le Regina coeli avec les Ordinaires du pays. Le cénotaphe en l´honneur du roi David, vénéré comme le tombeau du roi biblique, attire de nombreux juifs qui se recueillent devant lui, à l´étage inférieur.

Clef de voûte où l´on voit des traces d´un agneau. Signé : Alfred Driessen.

La présence chrétienne sur le Mont Sion subsiste en la basilique de la Dormition de la Vierge qui comprend une abbaye bénédictine et le couvent Saint-François.

La première fut construite en 1910 sur des terrains acquis par Guillaume II, empereur d´Allemagne. La coupole du sanctuaire, au tambour très svelte, est perçue de beaucoup de points de la cité. C´est au couvent franciscain, fondé en 1936, que se trouve le Cenacolino ou église du Cénacle, sur le lieu le plus proche de la salle de la Dernière Cène.

Pourquoi cette nuit-là est-elle différente de toutes les autres?

Pensons maintenant au Maître réuni avec ses disciples, dans l´intimité du Cénacle. À l´approche de sa Passion, le Cœur du Christ, entouré par ceux qu´il aime, déborde d´élans enflammés et ineffables (Amis de Dieu, 222)

Il avait ardemment souhaité cette Pâque (Cf. Lc 22, 15), la plus importante des fêtes annuelles d´Israël où l´on revivait la libération de l´esclavage en Égypte. Elle était rattachée à la célébration des Azymes, en souvenir des pains sans levain que le peuple avait pris lors de sa fuite précipitée du pays du Nil. La cérémonie principale de ces fêtes était une fête familiale à fort caractère religieux: “ c´était la commémoration du passé mais aussi une mémoire prophétique, c´est-à-dire, l´annonce d´une délivrance future” (Benoît XVI, Exhort. apost. (Sacramentum caritatis, 10).

Durant cette célébration, le moment essentiel était le récit de la Pâque ou haggadah pascale. L´enfant le plus jeune demandait à son père:

— Pourquoi cette nuit-là est-elle différente de toutes les autres?

La réponse permettait de rapporter par le menu la sortie d´Égypte. Le chef de famille parlait à la première personne pour symboliser que non seulement on était en train d´évoquer ces faits, mais que ce rituel les rendait présents.

À la fin on chantait un cantique de louange composé des psaumes 113 et 114 et l´on buvait une coupe de vin, dite de la haggadah. Puis on bénissait le repas, à commencer par le pain azyme. Le père le prenait et en donnait un morceau à chacun avec la chair de l´agneau.

Après le repas, les plats étaient retirés et tous se lavaient les mains pour l´après-dîner. Le début de la conclusion solennelle était le calice de la bénédiction, ou coupe avec du vin coupé avec de l´eau. Avant de le boire, celui qui présidait la cérémonie, debout, faisait une longue prière d´action de grâces.

La salle du Cénacle conserve l´architecture gothique de sa restauration au XIVe s. La photo, prise de la zone d´entrée, montre la construction pour la prière musulmane sur le mur de droite et l´escalier et la porte qui mènent à la chapelle de la venue du Saint-Esprit sur le mur du fond. Signé : Jason Harman (www.jasonharman.com).

Lors de la Dernière Cène avec les Apôtres, dans le contexte de l´ancien banquet pascal, le Seigneur transforma cela en lui donnant son sens définitif: “ en effet, le passage de Jésus à son Père par sa mort et sa résurrection, la Pâque Nouvelle, est anticipé à la Cène et célébré à l´Eucharistie qui accomplit la pâque juive et anticipe la pâque finale de l´Église dans la gloire du Règne”(Catéchisme Église catholique, 1340).

Quand le Seigneur institua la Sainte Eucharistie, à la Dernière Cène, il faisait nuit (...). La nuit tombait sur le monde parce que les vieux rites, les anciens signes de la miséricorde infinie de Dieu concernant l´humanité allaient se réaliser en plénitude pour ouvrir un chemin à l´aube d´une Nouvelle Pâque. L´Eucharistie fut instituée durant la nuit pour préparer d´avance le matin de la Résurrection (Quand le Christ passe,155)

Que pouvait-il faire de plus pour nous? En effet, dans l’Eucharistie il fait preuve d’un amour pour nous “poussé à l’extrême”.

Dans l’intimité du Cénacle, Jésus fit quelque chose de surprenant, d’absolument inédit: il prit du pain, rendit grâces, le rompit et leur dit:

—Ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Faites ceci en mémoire de moi (Lc 22, 19).

Ses paroles expriment la radicale nouveauté de cette cène par rapport aux antérieures célébrations pascales.

Lorsqu’il remit le pain azyme à ses disciples, il ne leur donna pas du pain mais une réalité différente: ceci est mon corps. “Dans ce pain rompu, le Seigneur se partage lui-même (...). En rendant grâces et en le bénissant, Jésus transforme le pain et ce n’est plus le pain terrestre qu’il donne mais la communion avec lui-même” (Benoît XVI,

(Homélie de la Messe in Coena Domini, 9 avril 2009). Et en instituant l’Eucharistie, il donne à ses Apôtres le pouvoir de la perpétuer par le sacerdoce.

Jésus fit aussi avec le calice quelque chose d’une importance singulière: De même, il prit le calice, après avoir dîné, et le leur passa en disant:

—Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang qui est versé pour vous (Lc 22, 20).

Que pouvait-il faire de plus pour nous? En effet, dans l’Eucharistie il fait preuve d’un amour pour nous “poussé à l’extrême”.

Salle où l´on évoquait la venue du Saint-Esprit. Elle est rarement ouverte au cours de l´année, le jour de la Pentecôte, par exemple. Signé: Marie-Armelle Beaulieu/CTS.

Devant ce mystère, le bienheureux Jean-Paul II se demandait: “Qu'est-ce que Jésus pouvait faire de plus pour nous? Dans l'Eucharistie, il nous montre vraiment un amour qui va « jusqu'au bout » (cf. Jn 13, 1), un amour qui ne connaît pas de mesure.

12. Cet aspect de charité universelle du Sacrement eucharistique est fondé sur les paroles mêmes du Sauveur. En l'instituant, Jésus ne se contenta pas de dire « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang », mais il ajouta « livré pour vous » et « répandu pour la multitude » (Lc 22, 19-20). Il n'affirma pas seulement que ce qu'il leur donnait à manger et à boire était son corps et son sang, mais il en exprima aussi la valeur sacrificielle, rendant présent de manière sacramentelle son sacrifice qui s'accomplirait sur la Croix quelques heures plus tard pour le salut de tous (Bienheureux Jean-Paul II, Litt. enc. (Ecclesia de Eucharistia, 17-IV-2003, 11-12).

Lorsque Benoît XVI s’adressa aux Ordinaires de Terre Sainte, sur le lieu précis de la Dernière Cène, il leur dit: “ Dans ce Cénacle, le mystère de grâce et de salut dont nous sommes les destinataires aussi bien que les hérauts et les ministres, ne peut s’exprimer qu’en termes d’amour(Benoît XVI, Regina Coeli avec les Ordinaires de Terre Sainte) : celui de Dieu qui nous a aimés le premier et qui est resté avec nous réellement présent dans l’Eucharistie et celui de notre réponse personnelle qui fait que nous nous donnions généreusement au Seigneur et aux autres.

Devant Jésus, présent dans le Saint-Sacrement (comme il m’est agréable de faire un acte de foi explicite en la présence réelle du Seigneur dans l’Eucharistie !), entretenez dans votre cœur l’ardent désir de transmettre, par votre prière, un battement plein de vigueur qui puisse s’étendre partout sur la terre et parvienne aux confins de la planète, partout où un homme dépense généreusement son existence au service de Dieu et des âmes.

(Amis de Dieu, 154).